Les visages de la recherche
Portrait de Philippe Chavrier, Grand Prix de la Recherche Ruban Rose 2022
Directeur de Recherche de Classe Exceptionnelle à l’Institut Curie à Paris, Philippe Chavrier enseigne également la biologie cellulaire à l’Ecole Normale Supérieure de Paris et dirige le cours de Biologie Moléculaire de la Cellule Institut Pasteur/Institut Curie. Avec son groupe de recherche, nommé « Dynamique de la membrane et du cytosquelette », il travaille à une meilleure compréhension de l’invasion tumorale. Rencontre.
C’est au détour d’un escalier en colimaçon, dans les étages de l’Institut Curie, que se trouve le laboratoire de Philippe Chavrier. L’on peut y observer des flacons, des pipettes et diverses machines, astucieusement disposés sur les paillasses : tout est à portée de main sans que l’espace de travail, parfaitement rangé, ne soit encombré. Les blouses, accrochées, suggèrent que le temps est à la réflexion et aux analyses plus qu’aux manipulations expérimentales.
L'équipe de recherche comme pilier du quotidien
Pour lui, l’équipe est centrale. Entouré de jeunes doctorants, de postdoctorants ou de chercheurs confirmés, il ne manque jamais une occasion de rappeler l’importance du travail de chacun : « C’est eux qui font avancer les projets ! ». Ils sont experts en biologie, en mathématiques ou en informatique et forment un groupe aux compétences pluridisciplinaires, un aspect clé de la recherche moderne : « Le cliché du chercheur qui travaille seul dans son laboratoire est daté. Pour faire de la recherche, on a besoin des autres, et de plus en plus, on se rend compte que les disciplines se recoupent. »
La recherche fondamentale, moteur du progrès en sciences
L’objectif du projet de Philippe Chavrier, soutenu par le Grand Prix de la Recherche Ruban Rose en 2022, est de mettre en lumière les processus moléculaires qui permettent aux cellules cancéreuses d’acquérir des capacités migratoires. Pour ce faire, il procède par des analyses en microscopie à fluorescence, collectant ainsi de nombreux clichés qu’il est impossible d’analyser à l’œil nu : « Les images que l’on capture au microscope, c’est avant tout de la donnée numérique à traiter. C’est là qu’interviennent les informaticiens et mathématiciens : ils nous aident à concevoir des logiciels que l’on utilise pour disséquer chaque prise de vue. »C’est grâce à la recherche fondamentale d’aujourd’hui qu’on aura de nouveaux médicaments d’ici une quinzaine d’années. Et je souhaite sincèrement remercier l’association Ruban Rose de nous soutenir dans cette voie, si importante pour le futur.La convergence de domaines aussi éloignés que la biologie et les mathématiques peut renvoyer l’image d’une discipline ésotérique. Pourtant, la recherche fondamentale est pleinement connectée à la réalité de la cancérologie actuelle, et essentielle aux innovations de demain : « Parfois, ce que l’on fait semble éloigné du lit du patient. On se pose des questions aux allures abstraites, mais qui sont primordiales. Il est illusoire de penser qu’on va soigner le cancer si l’on n’en comprend pas le fonctionnement. C’est grâce à la recherche fondamentale d’aujourd’hui qu’on aura de nouveaux médicaments d’ici une quinzaine d’années. Et je souhaite sincèrement remercier l’association Ruban Rose de nous soutenir dans cette voie, si importante pour le futur. »
En fait, les mondes des scientifiques fondamentalistes et des médecins sont mutuellement dépendants : ils ont chacun besoin l’un de l’autre pour avancer. La recherche est donc structurée pour que ces deux mondes communiquent, et des infrastructures telles que l’Institut Curie sont pensées pour les rassembler vertueusement. D’ailleurs, Philippe Chavrier a axé ses recherches sur le cancer du sein en y arrivant : « Cette proximité avec le monde médical dans un centre spécialisé sur le cancer du sein nous donne l’opportunité de travailler sur de précieux échantillons de tumeurs mammaires, qui sont prélevés directement chez les patients lors d’opérations chirurgicales. »
De la recherche à l'art, n'y aurait-il qu'un pas ?
A l’ère d’une recherche 2.0, travailler avec des machines de pointe, généralement très couteuses et donc rassemblées au sein de « plateformes technologiques », est un atout de poids. Justement, Philippe Chavrier utilise fréquemment la plateforme d’imagerie de l’Institut Curie, une salle où se trouve une cinquantaine de microscopes dernier cri : « Une plateforme d’imagerie, c’est très esthétique, avec toutes les couleurs chatoyantes qui s’affichent sur les écrans. Quand j’y suis, j’ai souvent l’impression que la recherche a quelque chose d’artistique : parfois, il nous faut simplement nous émerveiller devant ce que nous faisons. »Des paroles débordantes d’humilité rappelant la place du chercheur devant la complexité du vivant, ce vivant qui est pour lui une source intarissable d’inspiration. Parce que pendant son temps libre, il aime imaginer différemment les paysages cellulaires qu’il voit au quotidien en les peignant. Comme pour brosser, avec le soupçon de subjectivité qui caractérise les artistes, le portrait de ce qu’est la recherche dans son essence : une ode à la contemplation.
Photo d’un microscope confocal à balayage laser de la plateforme d’imagerie scientifique « Nikon Imaging Center » @Institut Curie-CNRS à Paris. L’image sur l’écran à droite montre les canaux galactophores de la glande mammaire de souris (bleu) visibles après que le tissu a été rendu transparent (l’image de microscopie a été réalisée par Vincent Fraisier, Philippe Chavrier & Carine Rossé). © Institut Curie / Thibaut Voisin. |